LA DOUCE LÉNA



Mise en scène : Ghislaine Beaudout

Chorégraphie : Paola Córdova

Avec : Catherine Benhamou, Désirée Olmi,

Paola Córdova, Ghislain de Fonclare

Voix : Saadia Bentaïeb, Nathalie Raphaël

Michel Quidu

Scénographie /Images : Solène Ortoli

Conception sonore : Alexis Pawlak

Création Lumière : Olivier Dusnasi

Diffusion : Katell Fouquet


Production Le Regard du loup avec le soutien de RAVIV et ARCADI,

En coréalisation avec le Théâtre Le Hublot à Colombes et le Théâtre Berthelot 

AVEC LE SOUTIEN DE LA VILLE DE MONTREUIL


Sur le projet / Ghislaine beaudout / Metteuse en scène


Gertrude Stein produit un tressage de paroles, avec un tempo, des rythmes, des couleurs, le tout agencé avec des motifs, des répétitions, des ritournelles. Catherine Benhamou qui s’est emparée de cette œuvre en a accentué la construction « cubiste » en imbriquant des personnages ou des motifs d’autres œuvres : « la brave Anna » et « le monde est rond ». Le résultat théâtral est une partition polyphonique qui dessine en creux le personnage de Léna. Son texte a été sélectionné au titre de l’aide à la création par la DMDTS en 2000.

Je me suis intéressée à Léna, très jeune fille atteinte d’une sorte de désintégration d’elle même à partir de son mariage. Comment évoquer cet état d’absence à soi, cette impossibilité à exprimer ses choix sur le plateau ? Son histoire venue d’une autre époque (début 20ème), soulève des questions qui continuent de se poser aujourd’hui : L’identité, le libre arbitre face à la famille, la condition des femmes. L’adaptation de Catherine développe une dimension onirique très importante à mes yeux pour élargir le point de vue et faire appel à l’imaginaire du public.  

J’ai eu envie de partager ces questions avec tous celles et ceux pour qui ils résonnent, mais avec une histoire non exemplaire, pas actuelle, un peu étrange, non conforme à une certaine attente sur le sujet du mariage arrangé. Une histoire qui offre suffisamment de décalage et de mystère pour parler d’abord à notre ressenti et pour produire un trouble propice à des questionnements moins convenus, à des échanges inexplorés.  
























Le spectacle

La douce Léna fait le portrait d’une jeune fille employée de maison, immigrée aux États-Unis au début du 20ème siècle et confrontée à un mariage arrangé. Ce récit à plusieurs voix dessine en creux le personnage de Léna et parle d’une société où la docilité est considérée comme une « plus value », surtout pour les femmes. Les sujets du libre arbitre et de l’identité résonnent ici avec le passage de la jeunesse à l’âge adulte.
Le spectacle met l’accent sur la difficulté de Léna à avoir prise sur sa vie et sur le traumatisme que représente le mariage forcé. Il aborde la thématique de l’émancipation des femmes à travers une histoire décalée dans le temps et géographiquement. Ce décalage permet d’élargir le débat à d’autres époques et d’autres sociétés que celles habituellement stigmatisées sur ces questions.
Le spectacle déploie un univers poétique qui mêle théâtre et danse C’est un langage de mots simples qui parle à tout le monde et traite les personnages avec malice. Léna est une énigme que le spectacle ne prétend pas résoudre. Il souhaite plutôt ouvrir la réflexion et l’imaginaire du public. 


L’écriture scénique :

 

Le projet met en résonnance différents langages, le théâtre, la danse, le son et l’image. La scène est appréhendée comme un lieu d’écriture dont le texte est une part. 

Ghislaine Beaudout poursuit sur le plateau, une constante dans l’écriture de Gertrude Stein, inspirée de ses rencontres avec la peinture, notamment le cubisme, qui consiste à ne pas faire du spectateur le captif d’une chronologie narrative et d’un point de vue unique, mais à lui ouvrir des perspectives sensibles sur le récit, en jouant avec la juxtaposition de différents niveaux de réalité. 

 

La voix :

 

La voix comme les mots, depuis le soupir jusqu’au cri occupe une place déterminante dans notre imaginaire.

Un travail essentiel sur ce texte composé comme une partition a consisté à s’intéresser aux registres, aux timbres, aux qualités de voix et de proposer, d’essayer différentes conditions d’énonciation : voix nues, voix amplifiées, voix s’échappant d’un corps visible ou non. Les flux de paroles, les boucles et les motifs qui les composent ont conduit l’équipe à interroger le rythme, la musicalité, l’énergie, l’émergence du sens par le travail de ces éléments (et pas uniquement par les intentions prêtées aux mots), les situations d’adresse et de communication de cette parole. 

 

Le théâtre et la danse :

 

L’idée de croiser le théâtre et la danse sur ce projet vient de l’envie d’un autre langage que celui des mots, un langage aussi mouvant que l’écriture de Gertrude Stein qui concerne la présence des corps et qui vient ajouter son trouble à la surface du sens.

L’existence de Léna se déroule dans une sorte d’absence, de transparence, une façon d’être au monde, de l’accepter sans y prendre part totalement, de s’en protéger.

Sa présence est qualifiée de « rêveuse et absente », de « patiente ignorance ». 

Le goût pour les croisements artistiques de la part de Ghislaine Beaudout qui a travaillé avec des marionnettistes sur certains de ses spectacles, le personnage inventé par Gertrude Stein et cette idée de « non-vie », la rencontre d’une comédienne ayant une formation de danseuse sont les éléments qui ont conduit à  offrir ce mode d’expression au personnage de Léna. La danse s’apparente pour moi à la fonction poétique du langage. Elle traduit un monde intérieur par une réalité plastique mais en préserve les secrets.

Pour les autres personnages, s’est associée au travail des voix, une recherche sur les sphères corporelles, les façons d’habiter l’espace. 

Dans cette narration multiple, les flux de paroles s’accumulent, laissent des traces, les corps creusent un sillon, apparaissent et disparaissent, changent de registre, jouent avec les frontières, pour provoquer une sorte de maëlstrom dans lequel Léna se noie avant de s’échapper. 

Ce travail a été préparé avec Paola Cordova, danseuse et comédienne qui interprète Léna, nourri de nombreux travaux tels ceux de Anne Teresa de Keersmaker, de Pina Bausch, de Christian Rizzo et d’autres encore...



Le texte

L’histoire se passe au début du 20ème siècle.
En fait c’est l’histoire d’une absence. D’une non vie. Une vie trop fragile, étouffée par la contrainte et l’oppression.
Elle pourrait n’être qu’un petit mélodrame naturaliste, mais le langage nous entraîne ailleurs.
Le texte doit être traité comme une partition musicale.
Il y a des voix graves et des voix aiguës.
Il y a de la violence et de la cruauté et en même temps une grande légèreté.



EXTRAITS « La douce Léna » - Réécriture et adaptation Catherine Benhamou

 

 

Léna

…Et toujours vous me parlez de ce mariage et je sais pas trop ce que c'est ce qui va m'arriver et puis merci beaucoup ma tante pour les belles robes et j'aime encore mieux les beaux chapeaux neufs avec les fleurs dessus. J'avais pas entendu que vous me disiez que vous aviez envie que je vous dise quelque chose. J'savais pas que vous aviez envie que je dise quelque chose. Je ferai n'importe ce que vous me direz que c'est bien que je fasse. J'épouserai Herman Kreder si vous le voulez.

 

 

Miss Anna

Pour ce qui est de moi Mrs Aldrich j'aurais pas voulu la voir épouser Herman Kreder, j'savais bien ce qu'elle aurait toujours à supporter avec cette vieille et ce vieux il est si ladre aussi et il n'dit rien mais il n'a pas meilleur coeur que sa femme avec ses manières désagréables. Je sais je sais que c'est tout juste s'ils lui donnent à manger Mrs Aldrich ça me peine vraiment tout ca Mrs Aldrich. En tout cas c'était pas une raison pour être toujours si débraillée même avec tous ces ennuis je ne cessais pas de lui dire Mrs Aldrich. Vous me voyez jamais faire ca bien que j'ai quelquefois si mal à la tête a ne pas pouvoir me tenir debout et je peux à peine travailler et ça ne donne rien de bon dans toute ma cuisine mais moi je crois que je me tiens toujours convenablement. Voila la seule façon de faire marcher les choses Mrs Aldrich.

 

 

Mrs Haydon 

Tout est prêt pour que tu te maries mardi Léna, tu m'entends, viens ici mardi matin j'aurai tout préparé pour toi.

Tu mettras ta robe neuve que je t'ai donnée, et ton chapeau avec toutes les fleurs, et fais bien attention de ne pas salir toutes tes affaires tu es toujours si négligente Léna et tu ne penses à rien et tu te comportes quelquefois comme si tu n'avais pas de tête sur les épaules.

Rentre chez toi maintenant et dis à ta Mrs Aldrich que tu la quitteras mardi.

Ne vas pas oublier à c't'heure, Léna rien de ce que je t'ai dit qu'il faut y faire attention. Sois une brave fille maintenant Léna. Tu épouseras mardi Herman Kreder.

 

 

Herman

Reste tranquille je t’assure en ce moment maman avec ces gronderies tout le temps pour Léna. Je verrai à ce qu’elle fasse tout exactement comme tu veux maman.

Comment un homme peut lutter avec sa mère ?

Moi tout ce que je veux c’est être tranquille pas beaucoup causer et faire mon travail

Et maintenant ils ont voulu que je t’épouse Léna et maintenant ma mère avec toute cette gronderie et tout ce tracas qui retombe sur moi.

Crois-moi laisse-la un peu maman elle fait tout le travail régulièrement comme elle a toujours fait. Je peux plus la voir comme ça tellement faible et immobile qu’on dirait qu’elle va mourir.

 



GERTRUDE STEIN

Américaine d’origine allemande née en Pennsylvanie en 1874, Gertrude Stein s’est installée en France avec son frère Léo en 1903. Ensemble, ils ont assemblé une des premières collections d’art cubiste, comptant notamment des œuvres de Picasso, qui fera d’ailleurs son portrait, Matisse et Derain.
Dans les années 1920, le salon de l’appartement de la rue de Fleurus, qu’elle partageait avec Alice B. Toklas, attirait l’avant-garde artistique, et les auteurs américains de la « génération perdue ». Nourrie de ces influences diverses, son œuvre écrite se présente comme un itinéraire à travers tous les genres littéraires ressaisissant un chaos de langage à partir duquel elle forge des matériaux poétiques, romanesques, dramatiques ou encore lyriques.
Elle est morte à Paris en 1946.


Bibliographie partielle
Trois vies ; Le monde est rond ; Ida, un roman ; Autobiographie de tout le monde ;
Du sang sur le sol de la salle à manger ; Autobiographie d’Alice Toklas.

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